Reclaim Finance avait fourbi ses armes en lançant une campagne "Voteront-ils pour ou contre le climat ?" De son côté, Proxinvest avait épluché toutes les stratégies soumises aux "Say on Climate". L’enjeu était de faire du climat un élément déterminant du vote des actionnaires dans les assemblées générales des grandes entreprises de l’énergie et de la finance. Résultat ? Une douche froide pour la directrice de l’ONG, Lucie Pinson, et un gout d’inachevé pour Loic Dessaint, directeur de la gouvernance de Proxinvest.

On a préparé des questions précises pour ces assemblées générales. L’objectif était de mettre ces entreprises face à leurs responsabilités climatiques en s’appuyant sur la science“, explique Lucie Pinson, la directrice de Reclaim Finance. “Mais la démocratie actionnariale ne fonctionne pas. Les dirigeants refusent d’être bousculés par leurs actionnaires et, du coup, ils instaurent un rapport de force et accusent les ONG de vouloir attirer l’attention sans raison“, déplore-t-elle. Les scores des votes des deux assemblées générales les plus agitées, celle de BNP Paribas qui a été interrompue pendant une heure et demi et celle de TotalEnergies qui s’est finalement tenue à huis clos, ne reflètent effectivement pas une contestation massive. 


Le “Say On Climate” de TotalEnergies a obtenu 88 % d’approbation, “un score incompréhensible“, pour Lucie Pinson. Elle ajoute : “ce n’était qu’un vote consultatif qui permettait aux investisseurs d’affirmer qu’un scenario climat qui intègre des nouveaux projets d’énergies fossiles est incompatible avec l’Accord de Paris. Compte tenu de la pression qu’ils ont subi, beaucoup n’ont pas osé aller jusqu’au bout de leurs engagements.

Loïc Dessaint, directeur de la gouvernance de Proxinvest, confirme avoir observé un recul de l’action globale et concertée des actionnaires sur le climat. “Le fonds de pension de l’Église d’Angleterre par exemple qui dirigeait l’engagement actionnarial auprès de Shell pour Climate Action 100 +, a renoncé pour se concentrer sur le secteur automobile“, remarque-t-il. Du coup, certains investisseurs institutionnels font le choix du désinvestissement pour aligner leurs portefeuilles et leurs engagements climat. L’Ircantec ou Ecofi ont décidé par exemple d’exclure TotalEnergies de leurs portefeuilles. Mais cela reste une goutte d’eau face au recul de l’engagement actionnarial sur le climat auprès des pétroliers, emmené en 2021 par des acteurs comme Engine N°1.

Pour Loïc Dessaint, les “Say on climate” sont malgré tout utiles surtout si les entreprises s’engagent à revenir chaque année avec une version améliorée de cette feuille de route, qu’ils tiennent compte des remarques des actionnaires et sont de plus en plus transparents sur leur empreinte carbone globale. Il déplore malgré tout que seule une dizaine de grandes entreprises cotées se soient livrées à l’exercice alors que le Forum pour l’Investissement responsable appelait l’ensemble du SBF 120 à adopter cette bonne pratique. 

Say on Pay pas plus contestés que les Say on Climate 

Les “Say on climate” s’inspirent des “Say on Pay”, qui permettent de donner des informations claires aux actionnaires sur les plans de rémunération des dirigeants. Ces résolutions sont soumises à des votes consultatifs qui permettent d’évaluer les positions des actionnaires, en particulier ceux qui ont des volumes importants de fonds ESG comme BlackRock ou Amundi. Sur le climat comme sur les rémunérations, on est loin de la rébellion. Ce que regrette Proxinvest qui, dans de nombreux cas, appelait à voter contre les plans de rémunération jugés excessifs. “Nos positions réduisent les scores. Les plans ne sont approuvés qu’à plus de 80 %, et pas à plus de 95 %“, constate Loïc Dessaint. “Nous avons quand même été étonnés que les augmentations spectaculaires de 2021 aient été aussi facilement approuvées. Bon nombre d’actionnaires semblent avoir été aveuglés par les résultats et les bénéfices de l’année dernière. Or 2022 s’annonce plus compliquée et ces rémunérations très élevées de dirigeants vont peser sur les entreprises“, ajoute-t-il. 

Il cite le cas de Téléperformance où la rémunération du dirigeant est passé de 17 à 19,6 millions d’euros ce qui a été approuvé par 85 % des actionnaires. “Finalement la contestation n’est forte qu’au moment des départs“, conclut-il en citant Ipsos, où l’indemnité de l’ancien PDG Didier Truchot a été refusée par 58 % des actionnaires et Orange, où Stéphane Richard a dû renoncer à la sienne face au front du refus des actionnaires.

Le retour aux AG classiques post Covid a donc montré les limites de l’engagement actionnarial pour transformer les modèles des entreprises cotées. Il ne permet pas d’obtenir beaucoup plus que des engagements de neutralité carbone à horizon 2050 sans véritable remise en cause du scenario “business as usual” d’ici là. Un bilan trop maigre pour espérer respecter l’objectif de l’Accord de Paris de rester en deçà de 2°C à la fin du siècle !■

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